« Par la force des arbres » d’Édouard Cortès et Dominique Mermoux

Je quitte à regret la bulle dans laquelle j’étais lovée depuis le commencement de cette belle lecture. L’adaptation en bande dessinée par Dominique Mermoux du récit d’Édouard Cortès (initialement publié aux Éditions des Équateurs) est une absolue réussite. Je l’ai lue avec délectation, autant charmée par les planches que par les phrases, lucides et poétiques, qui les accompagnaient – certaines résonnant presque comme des mantras, des réflexions philosophiques.

Son histoire est celle presque banale d’un homme qui a voulu changer de vie en se reconnectant à la nature, à ce détail près qu’il n’était ni trader, ni chef d’entreprise, – pas ce genre d’hommes qu’on a pu croiser dans des récits « classiques » révélant des quêtes de sens, au hasard de la littérature contemporaine – nous avons ici affaire à un homme qui, au contraire, travaillait loin des bureaux. Il a été berger pendant 7 ans, avant de jeter l’éponge, étouffé par la paperasse, pris à la gorge par les demandes administratives incongrues, les attaques à répétition de ses chèvres…

Il décide alors de « prendre de la hauteur » en se faisant construire une cabane en haut d’un chêne, dans laquelle il projette de vivre seul, sans sa femme et ses quatre enfants, déconnecté de toute cette technologie dont il se sent esclave – il dit par la même adieu aux réseaux sociaux. Sa cabane, il l’aménage avec le strict minimum, un confort spartiate, trois livres, un matelas, de quoi faire chauffer sa nourriture. Il y vivra perché, trois mois durant, cohabitant avec geais des chênes, hannetons, fourmis, sittelles, loriots et mésanges. Observant leurs allées et venues, de même que les poussées des mousses et de lichens sur les branches sur lesquelles il a trouvé ses nouvelles assises.

La vie de Robinson des forêts suit son cours paisible, Édouard se lave à l’eau de source ou de pluie, se nourrit de girolles ou de jeunes pousses de hêtre et d’aubépine, tente de parer au manque de confort, griffonne dans son carnet, y couche ses réflexions sur ce « confinement » en hauteur. Il se contente de peu, ne voit pas les journées passées au côté de cette nature foisonnante, pleine de surprises. Cette faune et cette flore, toutes deux merveilleusement inspirantes.

Les dessins sont superbes, j’ai particulièrement apprécié les focus sur certains animaux, ces dessins les mettant en vedette, assortis d’explications claires et d’anecdotes sur ce qu’a l’habitude de manger tel animal, le comportement ingénieux de tel autre. Saviez-vous que le geai des chênes pouvait stocker jusqu’à 4 glands dans son gosier ? Que les mésanges étaient capables de tapisser leur nid de plantes aromatiques pour repousser ses oisillons de parasites un peu trop entreprenants ? Que les arbres morts pouvaient grouiller de vie, étant des sanctuaires insoupçonnables de diversité ?

Le dessinateur a par ailleurs habilement réussi à marquer le contraste entre le présent et le passé, faisant cohabiter des planches brunes, sépia, et des planches éclatantes, éclaboussées de vert.

Une bande dessinée qui donne envie de de s’arrêter, de réfléchir, de s’interroger sur le rythme bien trop fou de la vie. Offrez-vous ce cadeau, ce séjour fondateur en haut du chêne.

Lu dans le cadre de la Masse Critique de Babelio